32. Le e caduc

Le e caduc. En français, [ə] a plusieurs noms. Il est  appelé e caduc, ou e instable ou e muet, ou encore (mais moins fréquemment) schwa. La variété de ces termes montre qu’il s’agit d’un son dont l’usage est particulièrement instable. Comme les feuilles des arbres en automne, il lui arrive de "tomber", c'est-à-dire de n'être pas prononcés. Pour cette raison, nous l’appellerons e caduc (deciduous e). E caduc est prononcé [ə ka dyk].

Le e caduc est écrit avec la lettre e, à l’exception de monsieur [mə sjø], faisan (pheasant) [fə zɑ̃] et faisons [fø zɔ̃] du verbe faire, et ses dérivés  comme faisable [fə zabl]).

Si un e est écrit avec un accent (é, è, ê), ce n’est pas un e caduc, mais un [e] ou un [ɛ]. Mais tous les e ne sont pas caducs ! Par exemple :

  • devant une double consonne : elle [ɛl],  essence [e sɑ̃s] , extatique [ɛk sta tik] ;
  • dans des adverbes comme précédemment [pʁe se da mɑ̃];
  • dans les combinaisons en (pente) [pɑ̃t], emm- (emmène) [ ɑ̃ mɛn].

Ambiguïté du e caduc. Le e caduc se caractérise par son ambiguïté. Parfois il est prononcé, et dans d’autres cas il ne l’est pas. En position finale, il signale simplement (puisqu’il n’est pas prononcé) que la consonne qui le précède doit, elle, être dite : comparez port [pɔʁ] et porte [pɔʁt].

Lorsqu’il est prononcé, il est souvent similaire, voire identique, au [ø]. Ainsi, on peut considérer que je, me, se, te et que, transcrits [ʒə], [mə], [sə], [tə] et [kə] sont prononcés [ʒø], [mø], [sø], [tø] et [kø]. Pourtant, il faut continuer de transcrire le e muet avec [ə].

Il peut également être similaire, voire identique, au son [œ].

De façon plus générale, on peut affirmer avec Pierre Léon que le e caduc « est très instable, fluctuant selon les régions, les individus et le contexte » (Léon, 223).

Le monsieur et la petite fille est transcrit [lə mə sjø e la pə tit fij].

Autres exemples :

  • Je ne le veux pas. [jə nə lə vø pa].
  • C’est un événement de grande importance. [se tɛ̃ ne vɛ nə mɑ̃ də gʁɑ̃ dɛ̃ pɔʁ tɑ̃s].
  • Nous faisons tout notre possible pour vous être agréable. [nu fə zɔ̃ tu nɔ tʁə po si blə puʁ vu zɛ tʁa gre abl].

L'amuïssement du e caduc

Amuïssement du e caduc

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Cette ambiguïté est encore plus grande puisque comme nous l'avons déjà vu, est le très souvent amuï (éliminé de la prononciation). La disparition (amuïssement) du e caduc obéit à la loi du moindre effort : un minimum d’effort pour un maximum de rendement. Pour un étudiant de français, l’amuïssement du e caduc peut être très déstabilisant à l’audition (les mots semblent « mâchés ») et difficile à réaliser à l’oral.

La caractéristique principale du e muet est que, lorsque cela est possible (et parfois c’est obligatoire), le locuteur francophone a tendance à ne pas le prononcer. Par exemple, le mot enveloppe sera prononcé en deux syllabes : [ɑ̃ vlɔp] plutôt qu’en trois : [ɑ̃ və lɔp], le mot lentement de trois syllabes sera prononcé [lɑ̃ tmɑ̃] en deux syllabes.

Comme avec les liaisons, il faut apprendre à identifier les mots pour lesquels l’amuïssement est interdit, obligatoire ou facultatif. L’amuïssement (ou la chute) du e caduc, lorsqu’il est effectué à l’intérieur d’un mot, dénote un registre de langue qui correspond à une conversation informelle. La loi du moindre effort qui entraîne la chute du e muet est donc un phénomène oral et familier.

En position finale
En position finale, l’absence de [ə] fait partie de la règle du français standard : dans Une salade verte, aucun e final n’est prononcé. On dira : [yn sa lad vɛrt]. Notons cependant que dans la poésie classique (étudiée plus loin dans ce cours), sa prononciation est conservée devant une consonne à l’intérieur d’un groupe rythmique. On verra aussi que la prononciation est conservée dans le sud de la France.

En revanche, je, ne, me, se, le, etc. sont prononcés [ʒə], [nə], [mə], [sə] et [lə], sauf bien sûr en cas d’élision.

À l’intérieur du mot
L’amuïssement du e muet est possible dans certains cas à l’intérieur du mot. Il faut, pour cela, respecter la règle des trois consonnes : si l’élimination du e muet provoque la succession de trois consonnes, il convient de le conserver.

Ainsi, on conserve le [ə] dans tristement [tʁi stə mɑ̃] parce la lettre e est précédé de deux consonnes (st) et suivie d’une autre consonne (m). Il est en effet difficle (mais pas impossible) de dire tristment.

Mais on peut amuïr le e dans rapidement [ʁa pi dmɑ̃] parce que le e n’est précédé que d’une seule consonne (d) et suivie d’une seule consonne également (m).

Dans une série de mots monosyllabiques donc la seule voyelle est un e caduc, il peut être difficile d’identifier ceux qui peuvent être éliminés et ceux qui ne peuvent pas l’être. Par exemple, dans Je ne me sens pas bien, pour respecter la règle des trois consonnes, on peut dire Je n’me sens pas bien, ou J’ne m’sens pas bien, mais on ne peut pas dire : j’n’m’sens pas bien !

La règle générale est de conserver le premier e muet, puis d’appliquer la règle des trois consonnes. Ainsi, pour Je ne me sens pas bien, ou dira plutôt Je n’me sens pas bien.

La règle est donc la suivante :

CC + [ə] + C = conservation du [ə].

C + [ə] + C = amuïssement du [ə].

ACTIVITÉ 32.1
Identifiez les e muets (prononcés ou pas) dans les mots suivants, puis faites-en la transcription phonétique :

  • une table
  • une chaise
  • une robe
  • une terrasse
  • lentement
  • complètement

ACTIVITÉ 32.2
Identifiez les e muets dans les phrases suivantes, puis faites la transcription phonétique :

  • Une caractéristique importante de cette idée est qu’elle est nouvelle.
  • Dans l’immeuble d’en face, habitent de jeunes rockeurs.
  • Denver se situe à un mile d’altitude.
  • Je ne le peux pas.

ACTIVITÉ 32.3
Prononcez ces mots en prononciation standard puis en prononciation familière (avec amuïssement) :

  • enveloppe :    [ɑ̃ və lɔp] et [ɑ̃ vlɔp]
  • chemise :       [ʃə miz] et [ʃmiz]
  • demandez :    [də mɑ̃ de] et [dmɑ̃ de]
  • secrétaire :     [sə kʁe tɛr] et [sʁre tɛr]

Exemples d’amuïssement impossible en raison de la règle des trois consonnes :

  • vendredi : [vɑ̃ drə di]
  • gouvernement : [gu vɛ ʁnə mɑ̃]
  • quatre dates : [ka tʁə dat]
  • enregistrement : [ɑ̃ ʁə ʒi stʁə mɑ̃]
  • subvenir : [syb və niʁ]

Exemples d’amuïssement possible :

  • convenir : [kɔ̃ vniʁ]
  • samedi : [sam di]

Rappelez-vous que lorsque nous parlons de consonnes, nous parlons de consonnes prononcées. Ainsi, une consomme double compte pour une seule consonne prononcée, et permet donc l’amuïssement :

  • Nous donnerons : [nu dɔn ʁɔ̃].
  • Ils jetteront : [il ʒɛ tʁɔ̃].

ACTIVITE 32.4
Amuïr ou pas ? Transcrivez les exemples suivant en alphabet phonétique en amuïssant le e caduc, quand c'est possible :

  • Un événement
  • J’appellerai.
  • Fermement
  • Vous donnerez.
  • C’est pas de chance !
  • Ce que tu es idiot !
  • On ne veut pas de ça ici !

Conséquences de l’amuïssement
Ce phénomène d’amuïssement à l’oral est souvent accompagné par la disparition ou la transformation de certains mots. Ainsi, comme nous l'avons déjà vu, le ne de la négation est souvent omis :

  • Je ne suis pas là ! devient Je suis pas là !
  • Ce n'est pas possible ! devient C’est pas possible !
  • Tu ne comprends pas ? devient Tu comprends pas ?
  • Ne mange pas mon gâteau ! devient Mange pas mon gâteau !

Cet devient c’t :

  • Cet après-midi devient C’taprès-midi
  • Cet exercice devient C’texercice

L'amuïssement a lieu également avec le son [y] dans tu :

  • Tu es belle ! devient T’es belle !
  • Tu as de la chance ! devient T’as d’la chance !
  • Tu es méchante ! devient T’es méchante !
  • Tu n’es pas gentille ! devient T’es pas gentille !

Autre phénomène : le [ʒ] de je se transforme en [ʃ] par un effet d’assourdissement:

  • Je ne suis pas là devient Je suis pas là puis Ch’suis pas là.

  • Je te quitte devient Ch’te quitte.

  • Je suis perdu devient Ch’suis perdu.

  • Je ne sais plus qui je suis ni ce que je fais devient Je sais plus qui j’suis ni c’que j’fais, qui devient Ch’sais plus qui ch’suis ni c’que ch’fais.

ACTIVITE 32.5
Faites la transcription en alphabet phonétique des phrases suivantes et proposez une version en français standard :

  • Exemple : Ch’sais pas.
    Transcription : [ʃse pa]
    Français standard : Je ne sais pas.
  • Ch’sais pas.
  • Ch’peux pas t’dire.
  • Ch’crois pas qu’t’as compris.
  • J’voudrais bien l’savoir.
  • À d’main, sam’di.
  • Ch’t’ai pas r’connu.

ACTIVITE 32.6
Prononcez ces phrases avec le plus petit nombre de syllabes possible. Barrez les e caducs qu'il est possible d'amuïr.

  • À demain, mercredi.
  • Je dirais que oui.
  • Un jus de pomme, s’il te plait.
  • Vous venez samedi ?
  • Que tu es belle !
  • Que c’est beau !
  • Il n’a pas de chance.
  • Il me semble que le petit enfant pleure.
  • Je me couche à deux heures.
  • Je l’ai sur le bout de la langue.
  • Je me régale !

Notez que le pronom le ne peut pas être élidé en fin de groupe rythmique : mange-le se prononce [mɑ̃ʒ lə].

ACTIVITÉ 32.7
En respectant la règle des trois consonnes, et les principes d’amuïssement décrits ci-dessus, prononcez ces phrases les phrases suivantes avec le moins de syllabes possibles :

  • Je ne te comprends pas.
  • Je te reconnais !
  • Je ne te reconnais plus !
  • Je te reverrai dans un an.
  • Appelez-le vendredi ou samedi, mais pas mercredi.

C’est bon à savoir : Arrêteuu !

Oui, la tendance du français est à la chute du e caduc comme manifestation de la loi du moindre effort. Mais il faut noter, à l’oral familier, un phénomène inverse, qui consiste à créer artificiellement un e caduc final. Au lieu de Arrête ! (Stop it!) [a ʁɛt], on entendra Arrêteeu [a ʁɛ tø]. Il ne s’agit pas d’un [ø] d’hésitation, mais plutôt d’ un [ø] d'insistance, qui manifeste un sentiment d’exaspération, de surprise ou d’admiration.

Voici d’autres exemples, où le e caduc apparaît même après une voyelle :

  • Écouteuh ! pour Écoute ! (But listen to me !)
  • Maiseuh ! pour Mais ! (Come on!)
  • Pierreuh ! pour Pierre ! (Pierre, come on !)

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