36. La technique des ventriloques

Les ventriloques, lorsqu’ils font parler leur marionnette, donnent l’illusion de rester silencieux : les muscles faciaux sont relâchés, les lèvres et la bouche immobiles.

Les ventriloques contredisent tout ce que nous savons sur le système articulatoire des sons, et en particulier des consonnes. Comment faire entendre l'occlusive [p] ou la labiodentale [m], qui nécessitent le mouvement des lèvres, quand justement les lèvres doivent sembler parfaitement immobiles et fermées ? Comment passer du [i] au [a] sans modifier l’aperture de la bouche ?

Les ventriloques sont à la fois des techniciens et des illusionnistes. Comme techniciens, ils développent des pratiques qui nécessitent un très long entraînement et une grande concentration. Comme illusionnistes, ils manipulent le regard et l’oreille des spectateurs en jouant sur les limites de notre perception.

Des illusionnistes
Pour donner à leur marionnette l’impression d’exister comme entité vocale, certains ventriloques  placent un microphone devant elle. C'est un leurre (a decoy) !

Chaque changement de personnalité s’accompagne d’une gestuelle différente de la part du ventriloque. L’oreille est distraite par ces mouvements.

Le passage d’une voix à l’autre se fait dans le même souffle, à une vitesse qui ne laisse pas au spectateur le temps d’analyser ce qu’il entend. L’œil et l’oreille se laissent tromper par la vitesse dans le passage d'une voix à l'autre.

Mais revenons à notre première question : Comment faire entendre [p] ou [m], qui nécessitent le mouvement des lèvres ? Comment passer du [i] au [a] sans modifier l’ouverture de la bouche ?

Trois solutions se présentent au ventriloque :

  • éviter d’utiliser ce son et choisir des paroles qui ne contiennent pas de sons difficiles ; au lieu de dire bonjour, il dira salut. Au lieu d’appeler une personne Pierre, décider de l’appeler Éric. Dans ces cas, il évite la prononciation de consonnes occlusives qui nécessitent l'utilisation des lèvres.
  • remplacer les sons bilabiaux ou labiodentaux par des sons équivalents. Par exemple, [b] est remplacé par [v] ou [h]. Barrière devient varrière, bonjour devient honjour. [p] est remplacé par [h]. Par devient har. [n] remplace [m]. [f] devient [h]. Formidable devient hormidagle.
  • éliminer les sons impossibles. Mexique devient exique.

À chaque fois, le ventriloque compte sur la capacité du cerveau de l’auditeur à corriger automatiquement (et surtout inconsciemment) les sons erronés qu’il entend. Celui-ci l’accepte d’autant mieux que les personnages inventés par les ventriloques sont des animaux.

ACTIVITÉ 36.1
Lisez à haute voix le début de la célèbre fable de La Fontaine Le Corbeau et le renard

  • Maître Corbeau, sur arbre perché,
  • Tenait en son bec un fromage.
  • Maître Renard, par l’odeur alléché,
  • Lui tint à peu près ce langage :
  • Hé ! bonjour, monsieur du Corbeau !

Placez ensuite un stylo entre les dents (pour conserver la bouche la plus fermée possible) et relisez ces vers.

ACTIVITÉ 36.2
Toujours avec le stylo dans votre bouche, récitez les mêmes vers en éliminant les [m] et en remplaçant [p], [b] et [f] par [h] :

  • aître Corheau, sur un arhre herché,
  • Tenait en son hec un hroage.
  • aître Renard, par l’odeur alléché,
  • Lui tint à heu hrès ce langage :
  • Hé ! honjour, monsieur du Corheau !

Un technicien
Le ventriloque doit exercer un contrôle musculaire sur les lèvres et ses mâchoires : elles doivent rester immobiles, ou bouger de manière imperceptible.

Le larynx et la langue, les seuls articulateurs mobiles (et cachés des spectateurs) qui restent, vont reconstituer une bouche à l’intérieur de la bouche. Des pseudo-lèvres sont créées derrière les lèvres.

En fait, il existe deux techniques : celle qui permet de créer une voix proche et celle qui génère une voix lointaine.

Pour la voix proche, le fond de la bouche est très fortement sollicité. Le larynx monte et descend rapidement. La langue se courbe pour former une bosse, et sa pointe vient se positionner juste derrière les dents. Les sons sonores passent en partie par le nez, ce qui donne une voix nasillarde (nasal).

Pour la voix lointaine, la langue s’enroule pour former une chambre d’écho qui fait résonner un son de base. Le timbre est grave et sourd.

L’art de la ventriloque nécessite un entrainement très rigoureux et des milliers d’heures de pratique. Cette vidéo donne quelques autres trucs :

En résumé (34 à 36)

La voix humaine fonctionne à la fois comme un instrument à vent et comme un instrument à cordes. L'air, sorti des poumons, passe par le larynx où sont générés des ondes sonores à une certaine fréquence.

Une fois sorti du larynx, l'onde sonore passe dans des espaces de résonance modulables (bouche, nez) où elle est modifiée grâce aux articulateurs que son la bouche, la langue et les lèvres.

Les cordes vocales sont à l'origine de tous les sons voisés (ou sonores).

Très vite, l'enfant se spécialise dans l'audition et la production de sa langue maternelle, ce qui explique pourquoi les étudiants adultes conservent le plus souvent l'accent de leur langue d'origine.

Le ventriloque s'interdit l'usage des articulateurs visibles par l'auditeur : les lèvres et la bouche. Il doit recrer ces articulateurs invisibles, à l'intérieur de la bouche, et adopter des stratégies de contournement nécessitant un long entraînement. Etudier la ventriloquie, c'est perfectionner la souplesse de notre système articulatoire et ruser avec l'auditeur.

Précédent Suivant