58. Comment acquiert-t-on un accent ?

Comment expliquer les écarts de prononciation entre Québécois et Sénégalais, Suisses et Belges ?

Voici quelques éléments de réponse, qui varient selon les cas :

1 - Le français n’est pas la langue maternelle du locuteur, mais sa langue d’éducation. Dans ce cas, la langue maternelle (L1) a une influence forte sur la prononciation du français (L2). C’est le cas du wolof au Sénégal, ou de l’arabe au Maghreb, dont on peut souvent entendre l’influence en français parlé dans ces régions.

2 - Si le français se développe comme langue maternelle dans une région ou une autre langue a été parlée, comme le picard à Valencienne (dans le nord de la France), l’occitan à Toulouse (dans le sud) ou l’alsacien à Strasbourg (dans l'est du pays), alors, comme l’explique Pierre Escudé, «  mon accent révèle qu'en plus du français, je suis aussi dans une autre langue ». Ce phénomène est inconscient : il n'est pas nécessaire de parler le picard, l'alsacien ou l'occitan pour avoir un accent picard, alsacien ou occitan en français. Il faut simplement avoir grandi dans les régions où ces langues étaient parlées.

3 - Le fait que le français d’une communauté ait continué d’évoluer de manière autonome (quelquefois à un rythme différent) par rapport à son point d’origine génère des modifications phonologiques. On dit par exemple que le français parlé au Québec aujourd’hui possèdent certains points communs avec le français parlé au XVIIème siècle en France. C'est à cette époque que beaucoup de Français se sont installés aux Québec.

C’est bon à savoir : les mots qui séparent ou qui trahissent

L’Ancien testament (Juges, 12 5-6) fait le récit de la guerre entre les habitants de la région de Galaad et ceux d’Éphraïm. La prononciation d’un seul mot (le mot schibboleth qui signifie épi—plant ear­—en hébreux) permettait aux premiers de démasquer les seconds.

Galaad coupa ensuite à Éphraïm les gués du Jourdain, et lorsqu'un fuyard d'Éphraïm implorait: « Laisse-moi traverser ! », ceux de Gallad interrogeaient : « Es-tu éphraïmite, toi ? » et s'il répondait qu'il ne l'était pas, ordonnaient alors :
—Dans ce cas, prononce shibbolèt pour voir.
Et l'autre, sans réfléchir, spontanément disait:
Sibbolèt.
On le saisissait et on l'égorgeait près des gués du Jourdain. En ce temps-là tombèrent pas moins de quarante-deux mille hommes d'Éphraïm.
Livre des Juges, chapitre 12, 5-6, La Bible, édition Bayard.

Aujourd’hui, le terme schibboleth désigne en linguistique un mot dont la prononciation trahit l’origine du locuteur parce qu’il est particulièrement difficile à prononcer pour un locuteur non-natif.

En anglais, le mot squirrel  est sans nul doute un schibboleth de première catégorie pour les français ! Écoutez quelques tentatives :

A58_2

Même si le mot écureuil est également difficile à prononcer pour des Américains, il l’est sans doute moins que squirrel pour des français. Écoutez quelques tentatives chez des Américains :

A58_3

ACTIVITÉ 58.1
Avez-vous des schibboleth français, c’est-à-dire des mots que vous n’arrivez pas à prononcer correctement ?

L’épisode de l’Ancien testament nous rappelle que d’infimes variations peuvent avoir lieu dans une même langue entre des locuteurs situés dans une zone géographique proche, voire identique. Ces minuscules différences donnent l’impression d’une série de frontières invisibles séparent d’une ou de plusieurs degrés une région d’une autre. Ce phénomène, étudié par les sociolinguistes, s’appelle isoglose (même langue en grec).

L’article consacré à ce phénomène sur wikipedia donne plusieurs exemples.

C'est ainsi par exemple le cas de la ligne de Benrath (séparant les parlers bas-allemands et haut-allemands), le trait emblématique de ce faisceau étant la seconde mutation consonantique » : maken vs machen), et de la ligne Joret séparant les parlers normano-picards du nord et du sud : quien / chien.

ACTIVITÉ 58.2
Êtes-vous capable de distinguer l’origine géographique des Américains en fonction de leur accent ? Un habitant du Minnesota parle-t-il de la même manière qu’un Californien ? Clopper et Pisoni (2004) ont montré que, « sans entraînement préalable ni retour (feedback), des auditeurs américains, invités à écouter des compatriotes de différents accents et à localiser leur origine géographique sur une carte des États-Unis, sont capables de distinguer trois grandes régions : Nouvelle Angleterre, sud et nord-ouest. » (Cécile Woehrling et Philippe Boula de Mareüil).

Après avoir établi ce qu’était un accent et pourquoi il se développe, examinons quelques exempkes dans les sections suivantes.

Précédent Suivant