Évasion #001

bresson

Deux choses ne font aucun doute : arrêté par la gestapo et amené à la prison Montluc de Lyon, le lieutenant Fontaine veut s’évader et il y parviendra. Un Condamné à mort s’est échappé incarne jusque dans son titre l’intention et le résultat de son projet. Reste à savoir par quels moyens, puis une fois toutes les conditions réunies, à quel moment. Ses camarades, inquiets de son hésitation (alors qu’eux-mêmes ont renoncé à recouvrer leur liberté physique) le pressent d’agir. Trois mois d’un régime plus que spartiate finissent par fatiguer le corps. On risque de fouiller sa cellule et y trouver l’équipement qu’il a patiemment fabriqué en vue de son évasion. La chance, enfin, risque de lui manquer. « Tu penses trop, tu fignoles », s’entend-il dire. « Le plus dur », se confie-t-il alors à Blanchet, son voisin de cellule, alors que tout est prêt, « est de se décider ». Lorsque dans un bureau installé à l’Hôtel Terminus un fonctionnaire lui annonce quel sort attend les saboteurs comme lui (il a fait sauter un pont pour bloquer un convoi allemand), son exécution prochaine ne fait plus de doute. Il se décide alors à passer à l’action.

Or ce moment correspond à l’arrivée dans sa cellule de Jost, un adolescent dont il a des raisons de soupçonner d’être un mouchard. Fontaine peut-il faire confiance au jeune homme et l’emmener avec lui ou doit-il l’éliminer pour assurer son évasion ? Rien, pas même l’apparente sincérité du garçon, ne vaut preuve de son honnêteté. Et c’est au pied du mur d’enceinte de la prison, alors qu’il lui confie la corde nécessaire à son franchissement, que Fontaine fait pour de bon acte de foi. Un traitre ne la lui aurait pas relancée. Seul, il n’aurait pu aller plus loin. Les deux hommes s’entraidant passent par dessus le chemin de garde et le mur d’enceinte pour se retrouver enfin libre, plus de quatre heures après avoir quitté leur cellule. « Si ma mère me voyait », s’exclame alors Jost, avant de se fondre avec Fontaine dans la nuit lyonnaise.

Le film de Besson se présente comme un récit sans ornement. C’est la reconstitution scrupuleuse (fanatique, écrit Truffaut) d’une véritable évasion. Le regard de la caméra ne va jamais au-delà de celui de son personnage enfermé presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans sa cellule. Il se concentre sur la tâche à accomplir. Comme dans Le Trou, les mains du prisonnier jouent donc dans ce récit un rôle considérable. Elles rendent compte d’un travail patient sur une matière (le bois de la porte, le métal de la cuillère, le tissu des vêtements) qu’il convient d’exploiter pour préparer les objets nécessaires au franchissement des obstacles. D’abord calculés, ils sont, une fois accomplis, mesurés au risque de se trahir par le bruit provoqué.

Chaque scène prend place dans le récit d’un chemin vers la liberté, elle-même symbole d’une forme de grâce humaniste. Il est pourtant à peine question de bravoure. L’attitude des autres prisonniers, cherchant dans leur cœur le moyen d’attendre une mort plus que plausible, ne constitue pas une antithèse morale à la celle de Fontaine. Au reste, l’énergie qu’il déploie, seul et isolé du monde, n’explique qu’en partie son succès à s’échapper. Les consignes apprises, les objets et les conseils confiés par ses congénères, les encouragements et jusqu’à l’exécution de certains d’entre eux préparent et expliquent sa réussite.

Une telle fraternité morale, à peine esquissée par les rares mots échangés se reflète dans l’idée que Bresson se fait de son film : ses images sont mises en relation par l’effet de lois discrètes qui président à une forme de fraternité dans un lieu où les quelques minutes quotidiennes passées ensemble sont régulièrement ponctuées de « pas parler », les seules paroles que les gardes allemands semblent être capables de prononcer en français. Pour le pasteur, un miracle a lieu lorsqu’il trouve un exemplaire de la Bible. Pour Fontaine, le destin se manifeste lorsqu’il met la main sur une seconde cuillère lui permettant de poursuivre ses préparatifs. Ces signes sont les plus visibles, mais pas les seuls, qui font de ce film une fable sur la foi. Foi en soi, en celles des autres, dans des situations extrêmes où la nécessité de la confiance prend parfois les allures de la traitrise. Qui croire et à qui confier sa vie ?

La prison militaire de Montluc d’où André Devigny s’est échappé le 25 août 1943 a servi de geôle à plus de neuf mille prisonniers, dont Jean Moulin et ses compagnons. Sept mille d’entre eux y sont mort. Le film de Bresson s’inspire du texte écrit par Devigny et publié en 1954.

  • Robert Bresson. Un Condamné à mort s’est échappé (1956).
  • Reader, Keith. Robert Bresson. Manchester : Manchester University Press, 2000.
  • Thiher, Allen. « Bresson’s Un condamné à mort : The Semiotics of Grace » in James Quandt (ed .). Robert Bresson. Toronto : Cinematheque Ontario, 1998.