« The following is my explanation, more an account of what happened ». C’est ainsi que commence la confession d’un homme, faisant des deux premiers mots à la fois la formule qui introduit le récit (« ce qui suit ») et le récit lui-même (« l’action de suivre les gens »). Par désœuvrement et par curiosité, explique-t-il à son interlocuteur, il s’est un jour mis à suivre les gens dans la rue. N’importe qui (« that’s the whole point »), à seule fin de découvrir où ils vont, ce qu’ils font, qui ils sont. En cela, explique-t-il à celui dont on apprendra qu’il est policier (et son explication un aveu), il répond à un besoin de singulariser un individu dans la foule, à extraire mentalement cette personne de la masse d’autres individus pour lui donner, en le suivant, une identité. « Dans un stade », demande-t-il, vous n’avez jamais eu envie de parcourir des yeux la foule, et à un moment donné de fixer votre attention sur une personne en particulier ? Soudain, cette personne devient un individu. « Just like that ». C’est, dit-il, irrésistible.
Ce qui semble être le produit d’une forme d’intrusion — à distance pour le moment, et dans l’espace public de la rue — sollicite le savoir et l’imagination du jeune homme. Celui-ci se présente comme un apprenti romancier, quelqu’un qui s’intéresse aux autres pour nourrir son travail. Afin de maîtriser ce qui devient rapidement une forme d’obsession, il se fixe plusieurs règles de conduite : ne pas suivre les gens trop longtemps, ne pas suivre une femme dans une allée sombre, ne pas suivre deux fois de suite la même personne. Puis rentrer chez soi, et recommencer le lendemain. Les choses, explique-t-il, ont commencé à mal tourner lorsqu’il a enfreint ses propres règles, et qu’il s’est mis à suivre la même personne, un homme d’allure élégante, un certain Cobb.
Pendant ces explications, le spectateur de Following, premier moyen métrage de Christopher Nolan, assiste à quelques plans qu’il devra, plus tard, remettre en ordre afin de reconstituer l’histoire à la trame double. Dans ses grandes lignes, voilà comment elle se présente. Cobb, qui confronte le jeune homme dans un café en l’accusant de le suivre, lui explique ensuite en quoi consiste son travail : après une période de surveillance, il s’introduit dans un appartement, fait son travail de cambrioleur, mais ne s’arrête pas là. Il y commet un certain nombre d’actes destinés à donner l’impression d’avoir sciemment violé l’intimité de ses occupants. Ainsi, dès le pas de la porte, essaie-t-il de comprendre qui habite dans ces lieux, et ce qu’ils ont, éventuellement à cacher, au cœur d’un espace où ils se croient les plus en sécurité.
Tous, dit-il, disposent d’une boîte (« everybody has a box ») dans laquelle se trouvent de menus objets (photos, cartes, lettres). Il s’agit de s’emparer de ces objets, de laisser, à la place, un vide qui est révélatrice d’une une présence disparue, et la trace d’une intrusion. En volant, explique Cobb, « you take it away, and then show them what they had ». La « simple » connaissance des individus par le moyen de la surveillance se double ici d’une forme de viol. Le regard n’est plus neutre. Il est suivi d’effets. Le suiveur se laisse fasciner par le jeu de Cobb. Celui-ci fait de lui un complice, et lui enseigne sa technique.
Bientôt les deux hommes cambriolent l’appartement d’une jeune femme blonde. Le suiveur ne résiste pas à la tentation de faire sa connaissance. Il apprend qu’elle vient de quitter un homme qu’elle nomme « Le Chauve », et dont les liens avec le banditisme ne font pas de doute. Le spectateur apprend plus tard que Cobb et la Blonde sont amants. Tout ce qui précède prend une autre tournure : le couple a en fait manipulé le suiveur pour le pousser à commettre un cambriolage chez le Chauve, puis un crime, dont il ne pourra pas s’innocenter. Les dernières séquences du film retourne à nouveau le récit pour faire de Cobb l’exécutant du Chauve, et le meurtrier de la Blonde.
Following de Christopher Nolan (1999) avec Jeremy Theobald, Alex Haw et Lucy Russell.