Entre faire du Melville ou faire du Truffaut, il n’est pas étonnant que le réalisateur des 400 coups ait opté pour la seconde solution. Antoine Doinel ne sera donc pas Alain Delon, mais bien le contraire : un apprenti détective maladroit comme Buster Keaton, et français, c’est-à-dire aussi toujours un peu amoureux, ce qui, est-il rappelé dans une interview avec le réalisateur, devrait être amusant. De toutes les façons, la Cinémathèque est fermée pour cause de limogeage de son directeur, nous sommes presque en mai de l’an 1968.
Voici Antoine, fraîchement embauché par l’agence Blady, de sortie pour sa première filature. Il se lance sur les pas d’une jeune femme, slalome d’un côté à l’autre du trottoir en se couvrant parfois le visage d’une journal, ce planquant derrière un arbre, ce qui ne manque pas, bien entendu, d’effrayer sa cible, qui fait appel à un agent de police en faction pour se débarrasser de l’encombrant jeune homme.
C’est ensuite au tour d’un magicien dont il a assisté au spectacle la veille et dont le compagnon (une main gantée de cuir triturant l’autre qui ne l’est pas) s’inquiète de ses absences. À peine plus discret, Antoine se met à suivre le magicien, qui bientôt pénètre dans un bâtiment administratif. Resté à l’extérieur, Antoine taille une bavette avec une ancienne petite amie devenue mère de famille rencontrée par hasard, en profite pour appeler Christine, dont il est amoureux, d’une cabine téléphonique de l’autre côté de la rue, afin de s’excuser de son comportement de la veille, et s’étonne presque que son prestidigitateur ait réussi à le semer.
Troisième filature, qui comme les deux précédentes échouent lamentablement, sauf à penser que la statue de Jeanne d’Arc, où sa cible semble prendre tous ses rendez-vous, constitue un indice sérieux pour Antoine. De guerre lasse, le patron lui propose alors un autre travail : être ‘périscope’ dans un magasin de chaussures dont le propriétaire, Monsieur Tabard, veut savoir pourquoi on ne l’aime pas. Le patron de l’agence présente Doinel à ce nouveau client. « Il est très brillant. Surtout pour les enquêtes. Parce que pour les filatures… »
Or l’amour, il se trouve que c’est un peu la spécialité d’Antoine, qui tombe vite sous le charme de Madame Tabard tout en s’efforçant d’oublier qu’il continue d’aimer Christine. Or Madame Tabard est également surveillée par une autre employée de la même agence. Et pendant ce temps, Christine, elle, fait l’objet d’une filature constante par un homme dont l’imperméable fait penser qu’il appartient à la profession mais qui, c’est sûr, ne travaille pas pour l’agence Blady. Dans cette charmante comédie, on apprendra que ne pas se faire voir est à peu près aussi illusoire que d’apprendre à domestiquer les miroirs. Ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise chose.
- Baisers volés de François Truffaut, 1968