L’histoire se situe en 1944 en Laponie alors que face à l’avancée des Russes les Allemands battent en retraite. Ces derniers sont quelquefois accompagnés de jeunes Finlandais pour la plupart embrigadés de force. C’est le cas de Veiko qui, avant la guerre, comptait bien finir ses études à l’université sans avoir à tuer personne.
Sur un promontoire que forme un large rocher de granit, au bord d’une piste empruntée par les troupes de l’Armée rouge, on l’attache par la jambe à une chaîne fixée à un pieu enfoncé à coups de masse. Sur une couverture, quelques effets de soldat, dont un fusil et une paire de lunettes. Veiko se trouve fixé par une chaîne de moins de deux mètres comme le serait une chèvre servant d’appât. Et, de fait, l’uniforme allemand qu’on lui a fait endosser en territoire russe le voue à une mort certaine. S’il veut retarder le moment de sa capture et de sa mort, il n’a d’autre option que de se transformer en sniper.
Prisonnier à l’air libre, disposant pour se mouvoir d’encore moins d’espace qu’entre les quatre murs d’une cellule, et surtout placé à la vue de ses ennemis, Veiko va faire usage de toutes ses ressources physiques et mentales pour se libérer du pieu qui l’assujettit. En se libérant, il peut non seulement espérer se cacher pour sauver sa vie mais encore éviter de prendre celle d’autrui.
C’est d’abord en vain qu’il tente de briser sa chaîne en faisant usage de son arme.
À l’aide de la pointe d’un ouvre-boîte il retire de sa monture les verres de lunettes d’hypermétrope, arrache à une pousse de conifère un peu de sève qui lui sert à fixer l’un sur l’autre les deux verres, dans l’interstice desquels il insère de l’eau par une paille végétale. Au-dessus du pieu enfoncé jusqu’à la tête, il place une large touffe de mousse sèche, à laquelle il met le feu grâce à la loupe qu’il vient de fabriquer. Le feu est entretenu par des brindilles qu’il trouve aux alentours. Le foyer, éteint brusquement par de l’eau qu’on lui a laissé dans un bidon de métal, fissure la surface de la pierre et révèle la partie supérieure du pieu.
Pendant que des avions patrouillent en rase-motte et que les combats se rapprochent, Veiko, enchaîné et condamné comme Prométhée, et comme lui détenteur du pouvoir du feu, reproduit la même opération, dégageant à chaque fois un peu plus la tête de la barre. Mais le soir arrive et surtout le bois pour le feu vient à manquer : il faut tendre de plus en plus les bras pour aller chercher de plus en plus loin la matière végétale autour du rocher. Au moment où l’eau commence elle aussi à faire défaut, environ 10 cm ont été dégagés.
Ne disposant plus de combustible, Veiko décide alors d’extraire la poudre de chaque balle de son fusil. Il place le tout dans le trou, qu’il comble ensuite de pierres. Après l’explosion, la barre se trouve davantage dénudée mais tient toujours solidement au rocher.
Chaîne et bras tendus, il parvient alors avec la sangle de son fusil à ramener vers lui une pierre de granite. Une fois celle-ci en main, il s’agit de frapper latéralement la pierre contre la tige de métal. Cette tâche, éreintante, l’occupe toute la durée. Mais au soir il parvient enfin à déloger la tige. Il est libre.
L’évasion est ici doublement libératrice, puisqu’elle provoque chez Veiko, qui n’avait pas prononcé un mot jusqu’ici, un véritable torrent de paroles devant Anni, une veuve laponne, et d’Ivan, un soldat blessé de l’armée rouge. Trois personnages monolingues, ne parlant pas un mot de la langue des autres, se trouve forcés de coexister, ce qui donnent au sous-titrage, qui traduit les trois langues en une seule, une fonction inédite au cinéma.
Venu d’abord dans l’intention de se débarrasser de la chaîne qui continue de l’entraver avant de rentrer chez lui (la guerre est finie pour lui, et elle ne tardera pas à l’être pour tout le pays), il décide pourtant de rester auprès d’Anni et de son hôte russe. Les paysages de Laponie, jusqu’alors effrayants, s’adoucissent et prennent un aspect bienveillant, hors du temps et surtout de l’histoire où les termes de « fascisme », de « démocratie » ou encore de « guerre » perdent leur valeur.
- Le Coucou, de Aleksander V. Rogozhkin (2003)