Filature #046

« On ne dira jamais assez combien il est agréable de suive quelqu’un, d’oublier son quotidien pour s’immerger silencieusement dans celui d’un autre. Les objets les plus simples, les gestes les plus anodins deviennent brusquement énigmatiques : pourquoi la personne suivie a-t-elle salué cet homme ? Et pourquoi hésite-t-elle devant cette porte ? On note les numéros, on repère les trajets, les contacts, on va parfois jusqu’à écouter les conversations, sans parvenir à éclaircir totalement certains points, qui resteront à jamais obscurs. À force de la pister, de l’attendre, de la perdre parfois, la cible finit par occuper tout l’espace de notre vie : on ne vit plus que pour elle. Existe-t-il une sensation plus délicieuse que celle de ne plus s’appartenir ? Sans responsabilités, sans horaires ni devoirs, on est uniquement préoccupé d’une silhouette dans la rue. »

Philippe Vasset, La Conjuration. Paris: J’ai lu, 2014 (Fayard 2013).