Des habitants d’un village en contrefort des Alpes disparaissent sans laisser de trace. Malgré les recherches de Langlois, capitaine de gendarmerie (l’action se situe majoritairement au milieu du 19e siècle), l’assassin reste introuvable. Un matin d’hiver, Frédéric, propriétaire d’une scierie, voit descendre un homme d’un immense hêtre qui côtoie sa propriété. Après avoir constaté que dans l’arbre se trouve le cadavre d’une nouvelle victime, et mu par une curiosité qui confine à la fascination, Frédéric II décide de suivre l’homme.
Pendant une demi-journée, « au pas du promeneur » (491, 492, 493, 496), il entraîne Frédéric à travers bois et champs. La trace des pas sur la neige (« comme gravée au couteau » 492) facilite la filature, mais n’empêche pas Frédéric de vouloir maintenir avec lui un contact visuel constant, comme un chasseur avec sa cible (492). Les deux hommes progressent jusqu’au sommet de l’Archat, qui forme la limite du monde connu. Au-delà se déploient des étendues immenses qui forment « la géographie d’un nouveau monde » (492).
Dès lors, Frédéric se fait « renard » (494, 495, 496). Silencieux et aérien, sa vision des choses et les actions qu’il entreprend pour suivre l’assassin se trouvent ordonnées par la nécessité constante de ruser. Sa crainte face au danger est à la fois pondérée par la certitude que jamais l’homme ne se retournera, et à la fois raffermie par l’étrangeté de cet assassin qui rentre tranquillement chez lui comme de retour d’une promenade. Ce dernier entre dans le village de Chichilianne puis rejoint sa demeure. Frédéric en voit sortir un jeune garçon, parti acheter « cinq sous de tabac » pour son père. Frédéric refait le chemin en sens inverse pour prévenir Langlois, lequel procède à la surveillance nocturne de la maison de l’assassin puis à l’arrestation et à l’exécution — en dehors de tout cadre légal— de celui-ci.
À cette filature de Frédéric II fait écho d’autre formes de poursuites au cours desquelles l’espace montagnard — le monde réel — prend des proportion en accord avec les enjeux philosophiques du roman de Giono. Mais le personnage principal d’Un roi sans divertissement n’est ni l’assassin ni Frédéric, mais Langlois, qui prend conscience de sa propre monstruosité, révélée lors d’une traque nocturne dont la proie est un loup.
Un roi sans divertissement de Jean Giono. Paris : Gallimard, édition de la Pléiade, vol. 3, 1974.