Filature #059

Vers l’heure du déjeuner, un homme appelle Maigret d’un petit café. Il ne veut pas dire son nom. Il affirme qu’on le suit et que s’il tentait d’entrer au 36, quai des Orfèvres pour retrouver le commissaire et lui expliquer la situation, celui qui est sur ses talons depuis la veille au soir l’abattra sans hésiter. L’homme supplie plutôt qu’un agent en civil le rejoigne. « Qu’il fasse semblant de rien… Je sortirai… Presque sûrement, l’autre se mettra à me suivre… Il suffira de l’arrêter, et je viendrai vous voir, je vous expliquerai… » (495).

Maigret dépêche Janvier aux Caves du Beaujolais mais lorsque celui-ci arrive sur place, les deux hommes sont déjà partis. Une heure plus tard, l’individu rappelle d’un autre café, le Tabac des Vosges, qui fait le coin avec la rue des Francs-Bourgeois. À nouveau il demande qu’on lui vienne en aide avant d’interrompre l’échange et de s’élancer en direction du quartier de la Bastille. La poursuite de Maigret, via Janvier, progresse alors au rythme des coups de fil passés de cafés (les Quatre Sergents de La Rochelle, le Café de Birage, le Canon de la Bastille) par un homme de plus en plus désespéré, dont le seul signalement valable est qu’il ressemble à presque tout le monde.

Jusqu’à ce que, le soir venu, son cadavre soit déposé place de la Concorde par une Citroën jaune, immatriculée à Paris (507). Il faudra à Maigret quelques temps pour comprendre que « son » mort tenait lui aussi un café (Au petit Albert) du côté de Bercy et que, sans doute faute de pouvoir semer son poursuivant (un rouquin, « le plus mauvais » de la bande 501), il avait fini par commettre l’erreur de rentrer chez lui pour y être tué. Le problème consiste donc à renouer avec les poursuivants. Maigret décide de rouvrir l’établissement de l’homme traqué et de guetter, la clientèle. Au bout de quelques jours, un rouquin, après avoir hésité quelque temps sur le trottoir d’en face, entre dans le café, désigne sans un mot la bouteille de Cognac, boit son verre d’un trait et sort d’un pas très rapide. Sur l’ordre de Maigret, Lucas se lance sur ses pas en direction du quai de Charenton alors que le commissaire suit les deux hommes à bord d’un taxi.

Le premier, à la démarche « animale », marche et court de manière harmonieuse. Le second, bedonnant, à l’aspect convenable d’un « bon petit bourgeois » (569), sans jamais donner l’impression de hâter le pas même lorsqu’il court, ne le quitte pas d’une semelle. Maigret a le sentiment de vivre cette scène pour la seconde fois, mais cette fois-ci, plutôt que par téléphone interposé, à bord d’un véhicule roulant au pas. Les rôles sont à présent inversés. Bientôt l’inconnu comprend qu’il ne sert à rien de s’essouffler. Il prend alors l’allure normale d’un piéton parmi des milliers d’autres qui, cette après-midi-là, vaquent à leurs occupations dans les rues de Paris. Seul Maigret saisit quel drame se joue alors.

Comme la précédente, cette chasse dure des heures et sa cruauté augmente avec le temps. « Un homme qu’on suit à la piste est un homme qu’on finira par arrêter. » (570) C’est une question de temps et donc d’usure. L’homme passe un appel téléphonique dont la teneur semble l’abattre. Sa physionomie se modifie et prend les traits de plus en plus marqués d’une bête sacrifié. Dans un dernier geste d’opposition, l’homme s’avise d’une nouvelle ruse : trouver refuge à l’intérieur d’un bâtiment. La première fois il en ressort presque aussitôt. À la dernière, Lucas le trouve en haut de l’escalier (573).

Condamné à ne jamais s’arrêter, l’homme entre dans les bars pour boire dans une partie de Paris qui lui semble de moins en moins bien connue, avant de tourner autour de la rue Beaubourg et de la rue Roi-de-Sicile. « Il s’écartait et, irrésistiblement attiré, revenait » (573). Son quartier, « cela se sentait » (572), n’est pas loin. Le « pauvre bougre », aussi désespéré que sa victime quelques jours plus tôt, finit lui aussi par n’avoir plus qu’une idée en tête : que cela cesse pour pouvoir rentrer chez lui. Chaque heure qui passe, chaque verre qu’il boit, le pousse à commettre l’erreur de révéler son adresse. Et, tout comme le petit Albert, le rouquin, au seuil de son domicile (un hôtel borgne dans un « décor de Cour des Miracle »), se fait abattre par ses complices.

Déjà dans « L’homme dans la rue », le lecteur assiste à ce qui n’est ni vraiment une traque, ni franchement une filature, mais qui contient les éléments les plus caractéristiques de ces deux modalités. L’homme qui se sait suivi fait mine de ne pas l’être, et le suiveur qui se sait observé prétend qu’on ne l’a pas vu. Le jeu de patience devient une épreuve d’endurance dans un espace de plus en plus hostile et étranger. Le désir de semer laisse place à une errance sans révolte dans un espace tantôt inconnu, tantôt trop familier.

George Simenon. Maigret et son mort in Tout Maigret, tome IV, Paris : Omnibus, 2019.

Filature #058

Quelle plaie que ce voyage organisé en Israël et pour une fois maudit soit Émile pour ce cadeau empoisonné. Robert aurait mieux fait de décliner l’offre de son neveu et de tranquillement célébrer ses cinquante ans à Bar-sur-Aube où il tient une librairie depuis plus de vingt ans. Tout l’importune dans cette Jérusalem saturée de religiosité, lui le petit-fils de juifs ukrainiens installés par défaut en France et le fils de Parisiens morts à trois semaines d’intervalle pendant l’épidémie de grippe de 1953.

Lors d’une visite obligée de la vieille ville de Jérusalem, il croit apercevoir la silhouette de Madeleine, la seule femme qu’il ait aimée ; et le voilà bientôt perdu à sa recherche dans cette ville à la « topographie indéchiffrable ». Ce jour-là et les suivants, au cours de son voyage imposé par le voyagiste (mais auquel il se soustrait le plus souvent possible), Robert se souvient librement des trois semaines que dura sa rencontre amoureuse avec Madeleine à Paris, des trois ans qu’il lui fallut pour oublier de penser à elle et des vingt-trois ans nécessaires à accepter sa solitude.

En 1972, Robert encore meurtri par la séparation trois ans plus tôt, fait le voyage à Sète pour revoir Madeleine une dernière fois. Arrivée dans la ville camarguaise il s’installe à un café situé en face de l’officine du mari se disant que « neuf fois sur dix le patron lui-même mettait un tour de clef après le départ des employés. Il suffirait alors de suivre l’homme en question » (56). Après dix minutes de marche, Robert découvre le domicile du couple, d’où bientôt sort Madeleine, descendue en ville « faire quelques courses ». 

Pendant les trois semaines qui suivent (une durée qui correspond à celle de leur rencontre amoureuse), il suit Madeleine, conscient de la perversité de sa démarche mais incapable d’y mettre fin. S’il reste fidèle au souhait de Madeleine de ne jamais le revoir, il assouvit son désir de ne pas la perdre de vue dans les rues de Sète. Mais ce désir, inexplicable, devient insignifiant une fois réalisé. Chaque jour il l’observe de loin, parfois seule, parfois en compagnie de son jeune fils, dans un rituel dénué de « tout intérêt, de toute signification », se promettant « de repartir à Bar-sur-Aube le lendemain, et tous les matins vers dix heures » puis reprenant son poste « dans le café non loin de chez elle », comme en « pilote automatique » (58-59). 

De retour chez lui, il reçoit une note de Madeleine lui signifiant que sa « piteuse opération de filature n’avait visiblement pas échappé à celle qui en avait été l’objet » (62). Plutôt que de lui en faire le reproche, elle l’enjoint une seconde fois à l’oublier. À la maladresse des filatures de Robert à Sète correspond l’insuccès de ses recherches pour retrouver Madeleine à Jérusalem puis dans les divers lieux où on le promène en autocar. En se remémorant cette lettre, dans laquelle Madeleine annonçait n’être déjà plus celle qu’il avait connue, Robert se demande à son tour, trente ans plus tard, s’il est encore le même.

Ce récit aurait pu jouer sur plusieurs cordes aussi sensibles qu’attendues : celle du Français juif pour la première fois en Israël, de l’orphelin découvrant le lieu où, « aux confins de la Corrèze et de la Dordogne » (102) ses parents ont trouvé refuge pendant la Seconde Guerre mondiale ; celle, enfin, d’un homme qui aperçoit aux bras de Madeleine un enfant dont il pourrait être le père. La pente suivie par Robert l’éloigne de ces questions pour se concentrer sur ce qu’il estime être sa part d’homme la plus essentielle : l’amitié et la musique.

Jean Mattern. Suite en do mineur. Paris : Sabine Wespieser Éditeur, 2021.

Filature #057


C’est le début de l’été sur la côte anglaise. Un couple passe devant la maison de Lol V. Stein, laquelle de son jardin reconnaît Tatiana Karl, une amie d’enfance. Quelques jours plus tard, alors qu’elle se promène en ville, Lol aperçoit l’homme seul sortir d’un cinéma. La lumière du jour l’éblouit. Il regarde autour de lui, scrute les passantes. Lol se détourne pour ne pas être vue. Et sans réfléchir décide de le suivre.

Il ne ressemble pas à Michael Richardson, le fiancé qui, dix ans plus tôt, alors qu’elle n’avait que 19 ans, a abandonnée Lol un soir de bal pour une femme de passage. Quelque chose, pourtant, dans sa manière de poser son regard sur les femmes, fait penser à lui. Il avance d’un pas égal et tranquille. Lol, dans « une équivalence certaine », voit les regards qu’il porte sur d’autres qu’elle comme s’adressant à elle en secret. « Elle qui ne se voit pas, on la voit ainsi, dans les autres. » (54)

« Prudente » jusqu’au calcul, elle reste en retrait des pas de l’homme. Quand il s’arrête devant une vitrine, elle ralentit pour ne pas avoir à se retrouver trop près de lui. Les semelles de ses chaussures sont plates et silencieuses. Elle retire son béret et son manteau parce qu’il fait de plus en plus chaud et qu’elle trouve judicieux de modifier légèrement sa silhouette. Elle se sent forte de son invisibilité, de son désir de suivre et peut-être de surprendre.

Arrivé à un rond-point, l’homme prend le boulevard qui s’éloigne le plus de la forêt. Son pas s’accélère. Bientôt, de toutes les femmes qui sortent d’un autocar, descend Tatiana. Lol devine rapidement que le couple se dirige vers l’Hôtel des Bois, le seul de la ville où les couples peuvent se rendre en toute tranquillité. Pendant qu’ils pénètrent dans l’établissement, Lol se cache dans un champ de seigle, sous la fenêtre de leur chambre. Séparée d’eux, cachée derrière les longues tiges végétales, elle observe. Puis lorsque le couple quitte l’hôtel elle se relève et rentre chez elle. Son retard est énorme. Elle doit inventer pour son mari le récit d’une course lointaine.

Les éléments dont dispose le narrateur du Ravissement de Lol V. Stein manquent parfois de précision. Il lui faut faire des hypothèses : « Je vois ceci » ; « J’invente, je vois » ; « J’invente » ; « Je crois voir ce qu’a dû voir Lol V. Stein » ; « Je me souviens ». Le récit oscille, dans les efforts de reconstitution par la vue rétrospective d’un point de vue temporel, entre ce que Lol a raconté plus tard de cette journée et ce qu’elle a laissé en suspens. Mais, et le lecteur l’apprend vingt pages plus loin, le narrateur n’est autre que Jacques Hold, l’homme suivi par Lol. Si bien que le caractère rétrospectif du récit prend une tournure spatiale : Hold se tient derrière la silhouette de Lol afin de la voir (et d’imaginer la voir) en train de le suivre. Étrange extase : Lol, hors du regard de l’homme, est pourtant traversée par ce regard.

Plus tard, Hold, devenu l’amant de Lol, et incapable d’attendre passivement le moment de leurs rendez-vous, passe ses journées à sa recherche dans les rues de la ville. S’il la trouve, il se met à la suivre. Elle porte le même manteau et le même béret mais semble plus grande et élancée. Plus belle aussi. Il se jure de ne jamais l’aborder. Lui non plus ne veut jouir de la surprise qu’il provoquerait à lui parler. Au cours ces marches Lol se présente entièrement à lui. Elle ne s’efface pas derrière son rôle de mère de trois fillettes et d’épouse discrète pas plus qu’elle ne cherche, sous la fenêtre de l’hôtel, devant l’image d’une autre, à mettre en scène sa propre absence. Si on l’appelle Lol (et non Lola), c’est qu’il lui manque quelque chose pour être… là (12). Mais lorsqu’elle marche seule, secrètement suivie par Jacques – ou secrètement recherchée par Jacques qui s’affole de ne pas la trouver –  elle, dont l’être « incendié » (113) cherche l’extase dans la transparence et l’absence, semble tout au contraire entièrement dans le moment et le lieu de sa présence.

Marguerite Duras. Le ravissement de Lol V. Stein. Paris : Gallimard, collection Folio (1964) 1976.

Michèle Druon. « Mise en scène et catharsis de l’amour dans Le Ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras ». The French Review, 1985, vol. 58, n° 3.

Filature #056

La colline envoie le malheur se faufiler entre les maisons et les hommes. C’est d’abord la fontaine, qui brusquement s’assèche. Puis la jeune Marie qui prise de convulsions de fièvre se transforme en pauvre petite bête mourante. Insidieusement l’égoïsme et la colère risquent de séparer les membres du hameau. Dans son lit, le vieux Janet, à moitié paralysé, semble de toute sa rage commander au monde des arbres et des herbes l’attaque contre les siens. Comment retrouver confiance ? Il faut d’abord régler la question de l’eau, car les réserves sont à bout : on en est à se raser au vin. « Voilà ce qu’on va faire », est-il convenu. Puisque Maurras a vu par deux fois l’innocent Gagou revenir à l’aube avec les pantalons pleins de boue et les cheveux ruisselants d’eau, on va le suivre cette nuit. Il doit avoir trouvé une source ; on verra bien. » (164)

La nuit vient. On feint de se dire bonsoir, puis Gagou sort, torse nu, et se met en marche comme guidé par la lune. Il danse plus qu’il ne marche, comme s’il se rendait à un bal. Il ralentit, puis accélère le pas jusqu’à donner l’impression de se ruer sur la nuit. Maurras et Jaume donnent à Gagou un peu d’avance car il a l’oreille fine. Passé la Thomassine, on débouche sur une combe au centre de laquelle git le cadavre poussiéreux d’un village abandonné en 83 pendant l’épidémie de choléra. La lune fait de Gagou un étrange être. Il prend progressivement l’allure d’une bête sauvage. Maurras et Jaume se souviennent du berger des Campas, de ses vingt brebis, du chien, et des torrents de mouches roulant sur les cadavres. Sur une piste parallèle, les deux hommes sentent que quelqu’un marche à côté d’eux. Ils ne sont pas seuls. Seul le mot même d’eau, et la nécessité absolue d’en trouver, leur donnent le courage de poursuivre. Gagou arrive dans le village abandonné. Sur la place, une fontaine étale son eau qui coule en abondance. Il s’y rue, boit, geint de plaisir. Leur joie à tous est folle.

La filature de Gagou n’a ni l’ampleur ni la force cinétique et cynégétique d’Un roi sans divertissement. Elle frappe pourtant par le seul fait qu’elle figure tout au début de l’œuvre romanesque de Giono et qu’ici aussi il s’agit d’une traque à travers les montagnes. Sous la lune, on avance, conscient des chemins qu’on connait, inquiet des forces invisibles.

Jean Giono. Colline. Paris : Gallimard, collection La Pléiade, Tome 1, 1971.


Filature #055

Sur les huit millions d’habitants que compte la ville de New York, ils ne sont qu’une poignée, à peine une demi-douzaine, à se retrouver dans un cinéma à la toute première séance, puis le film terminé à enchaîner sur un autre titre, et une autre, passant d’une salle à l’autre, d’un établissement à l’autre, d’un bout de Manhattan à l’autre, sans relâche, trois ou quatre fois dans la même journée, chaque jour de la semaine selon un horaire recalculé, leur présent tout entier dévolu à une constante dévoration d’images. Leo a tout abandonné il y a des années pour se consacrer à cette seule manière de vivre à moitié. Il ne sait plus pourquoi il fut un temps marié à Flory ni pourquoi ils ont divorcé, ni même la raison pour laquelle ils continuent de partager le même appartement. Flory travaille pour la radio, elle qui espéra longtemps devenir actrice et que jamais dans aucun film, même pas en figurante, Leo n’a jamais aperçue sur écran. Un jour, juste avant le début d’une projection, il repère une jeune femme habitée par une même folie (« inspired lunacy »), aussi mince que Leo est gros, aussi seule que lui. Au lieu de quitter la salle à peine le générique fini pour n’être pas en retard au début du film suivant, il décide de l’attendre à la sortie du cinéma et de la suivre.

Le décide-t-il vraiment ? Le geste est prémédité sans que Leo soit conscient du mobile. Il a seulement conscience d’avoir obéit à une nécessité. Pour une fois, son existence monstrueusement rigide laisse place à une curiosité qui lui fait imaginer la vie d’un être réel qui lui ressemble. Pendant toute la durée de la filature, il reconstruit, sans l’idéaliser, les jours et les nuits de la jeune femme. Il l’observe, son visage tendu vers l’écran, il la regarde avancer dans les rues d’une démarche souple. Sa minceur l’effraie. Il cherche un mot pour la décrire qui ne soit pas celui d’anorexique. Un animal famélique (« a starveling »), peut-être, dont le seul appétit, s’imagine-t-il, l’enjoint d’assister chaque jour aux projections des films les plus obscurs, au visionnage des versions les plus oubliées. Née pour voir, comme lui. Née pour n’être pas regardée, sauf par lui. Le désir de n’être jamais touchée. De vivre seule. Une âme véritable (« a true soul »), se dit-il, sans savoir exactement ce qu’il entend par là.

La passion qu’ils partagent ne serait-elle pas définie par le simple fait que le cinéma est fait pour être vu dans l’obscurité ? Face à l’écran, des êtres comme eux, à l’existence incomplète, le visage nu, cherchent dans les histoires chaque fois finies une forme invariable d’enveloppement, de sécurité, de transcendance renouvelée toutes les deux ou trois heures. Il reconnait en elle une sœur. Elle ne s’intéresse pas aux acteurs. Seuls les personnages la passionnent. Obscurément, il comprend qu’arrivera un moment où il faudra qu’il lui parle.

Un métro les emmène vers un cinéma de Broadway où il assiste, à quelques centimètres derrière elle, à la projection du second film de la journée. Puis un autre métro les porte jusqu’au Bronx où la femme rentre chez elle avant de sortir un peu plus tard pour monter dans un bus, le 29X, qui les transportent dans un immense centre commercial de banlieue où se trouve un cinéma. Le troisième film, il l’a vu la veille. Il le lui appartient plus. C’est le sien. Il la voit voir un film pour la première fois. Il pense la comprendre. La projection finie, il faut une quinzaine de minutes à la jeune femme pour quitter son siège et sortir de la salle. Elle se dirige vers les toilettes, y entre. Il la suit.

Don Delillo, « The Starveling » in The Angel Esmeralda. New York, Scribner, 2011.