L’Origine du monde

Une plongée dans les mémoires numériques de la Bibliothèque nationale de France réserve toujours de belles surprises. La Sepmaine de Guillaume de Salustre (1578), sieur du Bartas, propose rien de moins qu’une description de l’univers tout entier, depuis sa création. L’ouvrage fut, du reste, immensément populaire du vivant de l’auteur, qui entreprit, sans arriver à ses fins, d’y adjoindre une seconde partie. La taille de cette édition (près de 700 pages) s’explique par l’ambition du poète, mais également par la présence du discours d’escorte abondant d’un dénommé Simon Goulard, lequel joue, pour le lecteur d’aujourd’hui, un rôle utile de paraphrase.

Divisée comme il se doit en sept journées, La Sepmaine est avant tout la défense robuste d’une vision biblico-compatible de l’univers. Au reste, Guillaume de Salustre, par anagramme, donne (presque) TU AS SEUL GUIDE L’AME (« un myʃtere ʃacré ʃe cache bien ʃouuvent/ Es lettres de nos noms »). A cette vision, s’ajoute, ou plutôt se cherche une manière de synthèse des enseignements antiques, et pour finir ce que peuvent subodorer les savants de l’époque. Le texte est doublement passionnant.

bartas

D’abord parce qu’il donne à voir une vision du monde à une époque que la nôtre a très largement réfutée, mais aussi parce qu’en certains points, les assertions de du Bartas présentent, sans qu’il soit toujours nécessaire de faire appel à l’analogie, de curieuses ressemblances avec notre propre cosmogonie. En voici quelques unes :

  1. L’univers a eu un début. Le monde n’est pas éternel. Toute chose matérielle étant vouée à la corruption, l’univers lui-même, puisqu’il est composé de matière  aura une fin.
  2. L’univers est, dans sa taille, fini. Au-delà du dixième (ou onzième ciel) qui régente le plus mathématiquement possible le mouvement général des neuf ou dix autres, il n’y a rien : « Car il n’eʃt rien qu’un Tout, qui cloʃt de ʃon clos tout: / Dont la ʃurface n’a milieu, ni fin, ni bout. / Il n’est qu’un Vniuers, dont la voulte ʃupreme / Ne laiʃʃe rien dehors, ʃi ce n’est le Rien meʃme. »
  3. De même, quiconque voudrait remonter dans le plus petit des choses du monde, « ramper par le limon des plus bas elemens » ne trouverait là aussi que le rien même.
  4. Aux premiers temps, régnait le chaos. Forme sans forme, l’univers était « Vne pile confuʃe, un meʃlange difforme / D’abiʃmes un abiʃme, un corps mal entaʃʃé: /Où tous les elemens ʃe logeoient peʃle meʃle. »
  5. C’est avec le temps que le monde que nous connaissons aujourd’hui a été créé (par Dieu, il est vrai, seul à précéder le monde et la matière).
  6. Rien ne se fait de rien. Il faut qu’une chose se fasse de quelque autre chose.
  7. Rien ne s’évanouit en rien. À la mort, la matière d’un corps se corrompt et reprend sa forme originelle. Cette matière élémentaire donne vie à un autre corps, qui peut être de nature différente : « La noix pendroit du cheʃne & du noyer le glan: / Et l’Aigle, tranʃgreʃʃant de nature la reigle, / Produiroit la Colombe & la Colombe l’Aigle. »
  8. La mise en concurrence de la matière (« le mortel diʃcord de nos quatre elemens ») embellit la nature et est la cause de sa diversité. Il en va de même de la poésie : « Ou comme en ces eʃcrits, vingt & deux Elemens,/ Pour eʃtre tranʃportez, cauʃent les changemens/ Des termes qu’ y lit, & que ces termes meʃme,/ Que ma ʃaincte fureur dans ce volume ʃeme,/ Changeans ʃeulement d’ordre, enrichiʃʃent mes vers /De diʃcours ʃur diʃcours infiniment diuers. »

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